Bonjour, chers amis. Cet article fait un zoom sur le documentaire récemment apparu dans le réseau et entièrement consacré à la traduction de l’audiovisuel ainsi qu’au travail de postproduction. Le format d’un article ne permet pas de vous présenter tous les moments précieux qui valorisent le travail des traducteurs audiovisuels, mais on voudrait quand même témoigner du respect envers les réalisateurs et les protagonistes de ce documentaire ! Vous trouverez le lien à la fin de l’article.
Le parcours vers le métier
Il n’y a pas de prescription exacte. L’une des protagonistes qui s’appelle Anaïs Duchet a eu un parcours universitaire assez classique : études d’anglais, Master I de traduction, Master 2 professionnel de traduction, adaptation cinématographique, doublage et sous-titrage. Elle traduit essentiellement des longs métrages pour le cinéma et des séries pour la télévision. Par contre, un autre protagoniste Sylvestre Meininger qui s’appelle auteur de sous-titres et de textes de doublage, est venu dans le métier après la thèse d’histoire du cinéma. Depuis 2003, il se lance dans le sous-titrage, depuis 2010 il travaille dans le doublage. François-Xavier Durandy, quant à lui, est un spécialiste polyvalent qui travaille pour l’industrie, pour l’édition et aussi pour l’audiovisuel. Son astuce, c’est la connaissance du hindi qui, malgré le nombre de personnes qui le parlent au monde entier, reste une langue rare en France.
Comment ça marche ?
Le sous-titrage
Anaïs Duchet dit que, de par son expérience, les gens ont tendance à croire que le sous-titrage ou le doublage est une chose facile qui se fait vite sans trop d’efforts. Ils n’ont pas conscience que la plupart des traducteurs aujourd’hui ont leur bac + 5, qu’ils sont bilingues, trilingues, qu’ils ont souvent vécu à l’étranger pour parfaire leur connaissance de la langue. En fait, le travail d’un traducteur audiovisuel n’a rien à voir avec la traduction technique ou l’interprétariat. C’est plutôt la traduction littéraire. On est traducteur, auteur et ingénieur en même temps.
Tout d’abord, il faut comprendre la différence entre le sous-titrage, le doublage et le voice over qui, tous ayant la traduction comme point de départ, se distinguent quand même par l’objectif et le mode opératoire.
Quand le traducteur reçoit un film à sous-titrer il obtient plusieurs vidéos divisés en bobines et un fichier de repérage, c’est à dire, les sous-titres sont prédécoupés. Qu’est-ce que c’est que le repérage ? Un processus préparatoire qui contribue beaucoup à un bon résultat final. C’est à ce stade-là que le spécialiste chargé de repérage décide en combien de sous-titres une idée va être exprimée – un ou deux, voire plus. Il existe des normes techniques qui s’appuient sur la physiologie et la psychologie humaine : la personne fait une pause entre deux sous-titres et si le repérage est mal fait le téléspectateur se sentira fatigué sans savoir pourquoi et finira par décrocher. C’est bien le repérage qui permet de fluidifier la lecture pour que le spectateur ne décroche pas du film. Mais revenons au traducteur qui prend le relais du repéreur. Les sous-titres prédécoupés dans la langue d’origine sont affichés dans de petites cases d’un logiciel spécial. En outre, le traducteur reçoit un script avec les dialogues d’origine. Avec tout cela, il devra remplir les cases de son logiciel avec le texte français. Dans le cas du sous-titrage on entend les voix originales, on peut voir le jeu original des acteurs ce qui permet de traduire « en condensant le plus possible, en tirant le jus de ce qu’ils disent en deux lignes maximum ». Pour chaque sous-titre, il y a un nombre de lettres à respecter et on peut toujours le contrôler grâce à une fonction spéciale qui calcule le nombre de caractères auquel le traducteur a droit pour traduire chaque sous-titre en fonction de sa durée d’apparition à l’écran .
La contrainte principale du sous-titrage, c’est qu’il faut être synthétique et concis en condensant les mots des personnages. Sinon, le spectateur aura l’impression de lire un livre au lieu de regarder un film.
Exemple du sous-titrage du film « Prémonitions » (Solace) d’Alfonso Poyart, traductrice Anaïs Duchet:
Il y a la description de l’absence d’indice, « no DNA, no hair fibres » donc « ni ADN ni …. ». En faisant des recherches je me suis aperçue qu’on ne disait pas « des poils » ou « des cheveux » ni de « fibres capillaires » (hair fibres). En termes techniques de la police française, on dit « des éléments pileux », donc voilà j’intègre cet élément-là à mon sous-titre et puis je réécoute ma réplique. « No shoes print » donc « ni empreinte, rien ». Donc, on a suivi le rythme de la réplique et puis on est dans le bleu, c’est à dire que le logiciel a calculé qu’on a suffisamment de temps pour lire la quantité de texte que j’ai intégré.
Au-delà de la contrainte du temps il y a aussi la contrainte du respect de l’image. Qu’est-ce que cela veut dire ? Dans le sous-titrage, il faut tenir compte des changements de plan. Il est quand même mieux de respecter le montage en évitant que les sous-titres s’affichent sur plusieurs plans. Un changement de plan, c’est déjà un travail pour l’oeil et si le sous-titre sort presque en même temps que le changement de plan, le téléspectateur l’accepte plus facilement que s’il était obligé de redoubler ses mouvements : une fois pour l’image, l’autre pour le texte. Ce sont de petites choses qui rend un film plus harmonieux et plus regardable.
Un autre exemple du sous-titrage du film « Prémonitions » (Solace) d’Alfonso Poyart, traductrice Anaïs Duchet:
La traduction littérale : « donc pendant deux ans tout ce que j’ai pu faire c’était l’accompagner à l’hôpital et rester à ne rien faire pendant qu’elle subissait des traitements et des examens ». C’est évidemment beaucoup trop long pour mon sous-titre mais je peux essayer d’aller dans le sens du texte en mettant une phrase comme « je l’ai vue » au lieu de « je suis resté sans rien faire » donc « je l’ai vue ». L’idée de souffrance avec le verbe « endurer » donc « je l’ai vue endurer » on ajoute « traitement et examens » « pendant deux ans je l’ai vue à l’hôpital endurer traitement et examens ».
Anaïs ajoute qu’en travaillant sur un film elle rêve de pouvoir parler au scénariste pour comprendre ses intentions lorsqu’il a écrit telle ou telle phrase, telle ou telle mort. Par exemple, dans la série Walking Dead qu’elle a sous-titrée il y a plein d’allusions, d’ambiguïté, de référencement qu’elle aimerait préciser auprès des scénaristes pour trouver une façon performante de « le rendre du mieux possible en français ».
Une autre protagoniste du documentaire s’appelle Maï Boiron. Elle, par contre, a eu la chance de travailler directement avec le réalisateur pendant qu’elle traduisait Take Shelter et Mud. Normalement, les réalisateurs ne participent pas à l’écriture des sous-titres mais là il était disponible pour répondre aux questions de la traductrice. Vraiment formidable !
Le doublage
C’est un autre compromis puisque le spectateur n’entend pas les voix originales mais il observe la musique du corps de l’acteur. Le doublage doit donner au spectateur l’impression que les acteurs parlent français, donc c’est une très forte contrainte. Il faut faire attention à l’image, au synchronisme qui va bien au-delà de respecter le mouvement des lèvres. Le personnage bouge, fait un geste de la main, ouvre les yeux, lève les sourcils – toutes les expressions du corps, des yeux et du visage du comédien sont importantes pour créer l’illusion du synchronisme. Le rythme auquel il faut se plier en tant qu’auteur de doublage c’est vraiment le rythme de l’acteur.
Exemple du doublage du film The Signal de Wiliam Eubrank, traducteur Sylvestre Meininger:
Le traducteur tape en regardant l’écran et prononce son texte avec l’acteur.
L’original : I wanna see Haley. La traduction: Je veux voir Haley. Mais pour suivre le nombre de syllabes il ajoute Ok. Résultat final : Je veux voir Haley, ok?
L’original: I just want to see Haley. La traduction: Je veux voir Haley, c’est tout.
Et ce ne sont que trois secondes sur l’écran ! Sylvestre Meininger ajoute que pour écrire la version française d’un film l’auteur a besoin de deux éléments : un fichier vidéo qu’on charge dans le logiciel et la détection du film c’est à dire le relevé de tous les dialogues et de tous les mouvements de bouche qu’il devra respecter en traduisant. Donc il faut qu’il y ait un professionnel appelé détecteur qui fait ce travail préalable pendant plusieurs jours. En quoi consiste son travail? Le texte élaboré par un détecteur fait penser à un document de musique – les signes de fermeture de bouche, les consonnes labiales et semi-labiales etc. ce qui crée une sorte de bande rythmo. Le traducteur va écrire son texte en-dessous parallèlement à l’image en respectant tous les signes de la bande. En fait, cela signifie que si le détecteur a repéré une labialle, la bouche du personnage sera fermée. Le logiciel synchronise la détection et l’image au point que le signe de bouche fermée soit exactement au moment où l’acteur ferme la bouche. Devant les yeux du traducteur, il y a deux lignes de texte : en anglais en-dessus, la ligne pour le français en-dessous et les signes de détection entre les deux lignes. Les plus importants sont les signes des labiales : les M, les B et les P c’est à dire des lettres qu’on ne peut pas prononcer sans fermer la bouche. Le signe de semi-labiale se met sur le F, sur le V et il y a un grand signe en U qui signifie l’ouverture de bouche. Quand l’ouverture passe à la barre rouge le comédien ouvre sa bouche. En parlant de son mode opératoire dans le doublage, Maï Boiron avoue qu’elle écoute la bande sonore une fois mais ensuite elle coupe le son. L’essentiel c’est de s’inspirer de l’image plus que du sens. Il y a une espèce de contradiction : d’un côté, il faut assimiler les mots anglais pour comprendre ce qu’ils veulent dire et, de l’autre côté, il faut les oublier en laissant apparaître ceux français. Pas facile !
Exemple du doublage du film The Signal de Wiliam Eubrank, traducteur Sylvestre Meininger.
J’ai calé mon texte avec un V sur cette semi labiale, un M que j’arrive à faire passer sur son F, il a presque bouche fermée. Le V de « m’énerver » sur une autre semi-labiale, ensuite il ouvre et là, le P sur la labiale. On est passé au bon moment voilà « espèce de to…. » donc il avance la bouche là sur ce petit signe. Et on peut facilement mettre un O sur les avancées de bouche et ensuite la fin de l’insulte « card », « j’en ai marre, arrêtez de me faire chier avec ça, c’est vous qui m’énervait, espèce de tocard »
Difficile d’imaginer combien ce travail est précis et minutieux ! L’essentiel dans le doublage, c’est de garder la musique et le rythme général de la phrase sans oublier le naturel parce qu’on peut écrire une phrase extrêmement synchrone mais pas jouable et ensuite les comédiens auront du mal à pronocer et à jouer ce texte très synchrone mais pas naturel.
Un autre exemple du doublage du film The Signal de Wiliam Eubrank, traducteur Sylvestre Meininger:
Sous le sous-titrage j’ai mis « espèce de charlatans » parce que c’est vraiment le sens exact de « quack » mais « charlatans » c’est trop long …. le comédien français parlera plus longtemps que le comédien américain, ça marche pas. Donc il me fallait quelque chose en deux syllabes « naze, espèce de naze » c’est trop court « espèce de charlatans » c’est trop long, donc j’ai trouvé « tocard » qui a le mérite de commencer par un O sur l’avancée de bouche et puis d’ouvrir ensuite surtout quand on est énervé « espèce de tocards », d’ouvrir sur son ouverture de « quack ». Donc, on voit bien que l’idée c’est évidemment de traduire le sens, d’être au plus près du sens mais en doublage on ne suis pas du tout littéralement les mots puisque là il y a une triche complète : sur « me » on a mis « espèce » c’est donc absolument pas la traduction de « me », « espèce » c’est complètement autre chose. Simplement l’idée c’est de créer l’illusion en respectant le synchronisme, le rythme et l’engagement, le regard de l’acteur sur l’écran.
Voice-over
En plus du sous-titrage et du doublage synchrone, il existe une autre pratique qui est très répandue dans les documentaires et les journaux télévisés. Il s’agit de voice-over ou « sur voix » ou un doublage non synchronisé avec le mouvement des lèvres. Ce type de procédé ne prétend pas donner l’illusion que la personne qui s’exprime face à la caméra parle français. Le spectateur entend la voix d’origine en arrière-plan ainsi que la traduction qui vient se poser par-dessus. Evidemment, les contraintes sont moins draconiennes mais elles ne sont pas absentes. Le choix du procédé d’adaptation dépend de la nature de l’œuvre, de la nature du diffuseur – un documentaire qui va passer en quatrième partie de soirée sur Arte ne sera pas adapté de la même façon qu’un film destiné au prime time sur TF1. Un tas de facteurs !
En parlant des délais, les spécialistes disent qu’en moyenne, il faut de deux à trois semaines pour sous-titrer un long métrage et une dizaine de jours pour une épisode de série. Une fois la traduction est terminée, on passe à la vérification sous forme de simulation avec un simulateur et le client. Le traducteur, quant à lui, devient spectateur en laissant la parole au simulateur et a une vision totalement différente. C’est à ce stade-là qu’on fait les dernières harmonisations, petites corrections des choses, qu’on pense et repense certains mots, phrases ou locutions. En fait, l’auteur de la traduction est un filtre à travers lequel passent tous les efforts et tous les investissements intellectuels et financiers qui ont été faits dans la création. Une responsabilité particulière et une place absolument centrale !
Notre article n’est qu’une centième partie des contenus proposés dans le film de Serge Gallo. Si vous ne l’avez pas encore vu, j’espère que ce petit rapport vous donnera envie de le connaître de première main)) sans nos sous-titres))))
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