L’année 2020 a bel et bien bouleversé notre vie. Malgré la beauté du nombre qui recèle une harmonie de composition, 2020 a trouvé sa place dans l’histoire de l’humanité parmi les années les moins rassurantes. Dans cet article nous essayerons de dépister …. non, pas le virus, aujourd’hui, tout le monde s’en occupe en expert ou presque. On va dépister les mots qui ont infecté les langues européennes (au bon sens du terme, bien sûr) avec cette histoire de covid. Les langues retenant mon intérêt sont le français et l’italien parce que je les adore sans oublier, bien sûr, l’anglais tant nécessaire qu’inévitable dans ce contexte.
Dicorona d’Olivier Auroy
On commence par le livre de l’onomaturge Olivier Auroy « Dicorona » récemment apparu en France. Sans aucun doute, l’autodérision est une des plus grandes valeurs nationales des Français qui les aide à surmonter les ennuis et à garder la lucidité dans les situations où tout autour risque de s’écrouler. Olivier Auroy, professionnel dans la création des mots, invente des mots hybrides pour adoucir un peu la pilule de la réalité.
Dans son interview publié sur lepetitjournal de Dubaï, Olivier Auroy a raconté comment l’idée du Dicorona lui était venue : en regandant les clients du supermarché qui se disputaient le dernier paquet de spaghettis bio, il avait inventé les « psycho-pâtes ». Et c’était parti ! Désormais, les mots-valises inventés par Olivier Auroy sont devenus les témoins éloquents de l’époque covidienne ou coronavirusienne (?). Franchement, aucune des deux variantes n’est jolie ! Donc, le dico des mots-valises a démarré tout de suite après l’annonce du confinement. C’est dans la semaine du 16-31 mars qu’Olivier Auroy a publié les 25 premiers mots:
Adolester |
envoyer l’aîné faire les courses |
Broutine |
ressassement quotidien des soucis |
Chloroquiz |
grand raout d’interrogations |
Calameeting |
conf-call approximative |
Comploterie |
théorie hasardeuse |
Confinitude |
quarantaine illimitée |
Coronavirer |
imposer le chômage partiel |
Covip |
célébrité testée positive |
Cyberner |
feindre le télétravail |
Experdition |
errements des sachants |
Fourbain |
Parisien qui a pris la clé des champs |
Fouting |
jogging malgré la consigne |
Fuis-clos |
échappée vaine |
Funérabais |
obsèques en petit comité |
Masquarade |
hypocrisie dans ta face |
Occasanier |
héros du moment |
Pandémiurge |
autre nom du pangolin |
Partousser |
postillonner en groupe |
Procrastiquer |
remettre le ménage au lendemain |
Propagacement |
frustration virale |
Psycho-pâte |
sérial stockeur |
Racontaminer |
transmettre des fake news |
Savantard |
celui qui dit qu’il savait |
Syndicalciner |
mettre de l’huile sur le feu |
Zonanisme |
binge porn |
Il s’agissait d’une initiative de création ouverte à toute personne inspirée d’inventer des néologismes à partir de la réalité covidienne. La procédure est simple : il suffit de prendre deux mots existants et de les accrocher l’un à l’autre de façon que la dernière syllabe d’un mot se colle à la première syllabe d’un autre. Tout le monde pouvait proposer ses variantes à l’auteur mais attention ! Comme toute création esthétique, c’était un travail très subtil et difficilement mesurable. Il n’y avait que deux repères : ingénieux ou pas. En octobre 2020, Olivier Auroy a fait publier Dicorona. Pour que l’humour ait le dernier mot par l’Édition Intervalles. Au total, 128 pages de l’approche salutaire qui nous aide à réinventer le quotidien avec les mots ingénieux et gorgés d’humour qui « se veulent informatifs, sarcastiques voire poétiques ». Savez-vous ce que signifie racontaminer ou médicâliner ? Je suis sûre que oui ! Mais la vraie réussite, c’est de trouver le bon mot pour désigner la chose ressentie et pas encore exprimée. Cette tâche exige une réelle audace et une grande liberté d’imagination.
«Notre quotidien à l’ère du virus change radicalement. Socialiser, travailler, se divertir, faire du sport… tout devient différent, au point de modifier l’essence même de ces activités», écrit Olivier Auroy en préface de son livre. Sans parler de mots nouveaux, souvent empruntés à l’anglais comme le lockdown, on voit toute une vague de mots ordinaires qui changent de sens. Nos habitudes, notre mode de vie et même notre manière de s’exprimer – tout est déraillé, bouleversé, modifié. Il y a un an, c’est-à-dire en novembre 2019, le masque, le confinement, l’attestation portaient des messages très différents de ce qu’ils ont aujoud’hui. Mais revenons au Dicorona. Pour amuser un peu nos lecteurs, voici une autre portion de mots-valises inventés par Olivier Auroy et recueillis dans les sources ouvertes.
Allergîte |
soudaine intolérance à son domicile |
Cloisir |
l’activité d’intérieur pratiquée en confinement |
Procrastiquer |
remettre le ménage au lendemain |
Dépiston |
passe-droit pour se faire dépister |
Partousser |
postilloner en groupe |
Sur-placer |
exceller à ne pas bouger |
Refugitif |
celui qui refuse de sortir de chez lui |
Abyssextile |
dont on ne voit pas le fond (cette année, par exemple) |
Alibido |
absence de désir imputée au confinement |
Sexcuse |
synonyme de l’alibido |
Claustronomie |
cuisine de grand chef en petit appartement |
Moisif |
si désœuvré qu’on finit par le sentir |
Se promiscuiter |
se saouler en petit comité, dans un espace réduit |
En conclusion, j’aimerais citer une phrase empruntée au site de l’Édition Intervalles : « … à la façon des oulipiens, on nomme parfois les choses pour mieux en plaisanter ».
De la quarantaine au lockdown
L’Italie montre une approche tout à fait différente et beaucoup plus sérieuse. Il est vrai que les rapports entre le covid et l’Italie sont plus dramatiques qu’ailleurs et l’analyse des ouvrages qui traitent le vocabulaire covidien diffusé dans la langue italienne laisse voir une très sérieuse préoccupation. Par exemple, l’enseignante d’anglais à l’Université de Pisa Marcella Bertuccelli Papi dit : “Il virus anglico, il lessico inglese, ha approfittato della pandemia per infettare ancora un po’ la nostra lingua italiana” (le virus d’anglicisation, le lexique anglais, a profité de la pandémie pour infecter toujours plus fort notre langue italienne). Les exemples de cette invasion sont nombreux : on discute le timing de l’épidémie, les modalités du lockdown et la distribution des kits pour les examens sérologiques. On pense converser certains ouvrages en covid hospital, créer des softs pour les apps, on a des doutes quant à la fiabilité des screenings et même des termoscanners (un thermomètre classique serait plus utile). Les étudiants se cassent la tête sur les tablets et d’autres devices pour suivre le videotutorial dans le cadre de l’e-learning. Sans oublier le smart working, webinars, task force et le burnout comme témoignages des nouvelles routines.
Il faut avouer que l’italien est plus sensible à l’autorité de l’anglais que ses confrères romans. Je pense que l’immunité, quoique relative, du français est due à l’époque du Middle English où ce dernier se battait pour l’existence face au français et à tout le train-train normand. L’italien avec sa mélodicité et les rudiments d’une grammaire synthétique a du mal à tenir le coup contre une langue si analytique et laconique comme l’anglais, ce dernier étant parfaitement adapté au modus vivendi actuel.
L’Accademia della Crusca, association linguistique italienne la plus puissante et prestigieuse, estime abusive l’invasion des vocables anglais dans la période pandémique. Il suffit un ou deux mois pour que les médias capitulent devant les lockdown, smart working, droplet, covid hospital, covid pass, wet market, spike, spillover, recovery fund, coronabond, hub, cluster, call etc. Tous ces termes existaient avant mais les journalistes n’en avaient pas besoin pour véhiculer les notions et les messages de l’époque « précédente ». Aujourd’hui l’abondance et surtout la vitesse avec laquelle les anglicismes se sont introduits dans la vie courante des italiens fait peur aux spécialistes.
Antonio Zoppetti, docteur en philosophie, un des auteurs de l’encyclopédie Treccani, a réalisé un travail vraiment incroyable en analysant les emprunts apparus en italien au cours de cette année – mois après mois. Quand la Chine décide d’introduire la fermeture (la chiusura en italien) de Wuhan le 23 janvier 2020, on ne parle pas encore de lockdown. Quand le coronavirus s’explose en Italie, certaines communes lombardes se voient déclarées les « zones rouges » avec la fermeture ultérieure des écoles, de la région et finalement du pays. Les journaux parlent d’une fermeture (tutto chiuso, chiusa l’Italia, provvedimenti restrittivi, blocco, isolamento, confinamento, quarantena etc.). Mais les choses changent dès que l’épidémie atteint les pays anglophones. Vu que l’Italie était la première parmi les pays européens à subir le choc, ses comportements servent de référence, voire de modèle pour les gouvernements européens et outre-atlantiques en ce qui concerne les mesures restrictives dans une société démocratique. C’est à ce moment-là que les médias anglophones y mettent l’étiquette Italy lockdown. Déjà à mi-mars, lorsque le président du conseil des ministres d’Italie annonce le décret Cura Italia, le terme lockdown s’inscrit officiellement au contenu des journaux et de la télévision. Avant, selon les archives de Corriere.it, cet anglicisme n’apparaissait que quelques fois par an et désignait principalement le blocage des écoles ou des quartiers aux États-Unis suites à des actes terroristes. Depuis avril 2020, la chiusura évolue progressivement vers le lockdown. Il ne s’agit pourtant pas d’un internationalisme puisque l’analyse des journaux français et espagnols tels que Le Monde et El País montre l’absence ou quasi absence du terme. Vu la vitesse de telles « transplantations », les linguistes italiens se posent par mal de questions et cherchent à comprendre pourquoi leur langue, malgré toute sa beauté et sa richesse, cède le terrain aux anglicismes. D’accord pour le vocabulaire informatique qui est entièrement emprunté à l’anglais. En fait, tout le monde dit computer, sauf peut-être les français et les tribus amazoniennes – les uns parce qu’ils sont trop orgueilleux pour donner les noms étrangers aux choses inventées par eux (et leur fierté est totalement justifiée), les autres parce que cela ne leur sert à rien. Le reste du monde accepte la prédominance anglo-saxone dans ce domaine)))) Mais comment l’italien s’est-il ingénié à adopter l’italian design et le made in Italy ? Les aventures du mot lockdown semblent d’autant plus étonnantes que le terme quarantaine (quarantine en anglais, cuarantena en espagnol, карантин en ukrainien, kwarantanna en polonais etc.) désignant une periode d’isolation de quarante jours provient justement de la quarantena italienne.
Avant le mois de mars, les médias italiens parlent du marché de Wuhan, le présumé point de départ du virus, en l’appelant mercato del pesce (marché du poisson), mercato a cielo aperto (marché de plein air), mercato di animali selvatici (marché d’animaux sauvages) mais dès que le problème s’installe dans le monde anglophone et celui-ci commence à discuter de wet market, la langue italienne y réagit immédiatement avec les constructions épouvantables mercato umido ou même bagnato (marché humide / baigné).
Dire que c’est toujours la faute des journalistes serait injuste puisque les anglicismes arrivent aussi en abondance par le secteur scientifique et économique. Etant très utiles en tant que termes scientifiques, ils s’enracinent facilement dans une langue étrangère grâce à leur usage précis et technique sans traduction, puisque la traduction exigerait des constructions descriptives et embarrassantes. Le dernier exemple que nous citons dans cet article concerne le terme droplet. Ce mot désigne une gouttelette mais, en passant de la dénotation à la connotation, on essaie de synthétiser dans un seul mot le volume des particules de salive projetées et pouvant être inhalées. Le terme introduit par les mass-médias dans un contexte scientifique pour argumenter la distance à tenir par rapport aux personnes infectées s’avère réussi, qu’on l’aime ou pas. Si vous avez intérêt à avoir plus de détail sur l’ouvrage d’Antonio Zoppetti, vous pouvez suivre le lien https://www.grey-panthers.it/ideas/letture/la-panspermia-del-virus-anglicus/.
Portez-vous bien et que l’immunité vous protège de tout intrus indisérable))))
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